Le Fatah, le mouvement de libération nationale palestinien, a émergé du cœur de la désorientation post-Nakba et de la dévastation matérielle dans les camps de réfugiés et la diaspora. Dépourvu d’idéologie doctrinaire, il regroupe un large éventail de visions du monde, des gauchistes marxistes aux islamistes des Frères musulmans.
Sa fondation remonte à 1957, mais l’inauguration officielle a été déclarée le 1er janvier 1965, avec la première opération armée contre Israël à l’intérieur de la Palestine occupée, conférant au Fatah le titre honorifique d’al-talqa al-oula (le premier tir).
Ce titre (et cet acte) a conféré au mouvement un privilège révolutionnaire, qui a changé de sens au cours des phases successives de la lutte.
Initialement indicatif de la résistance armée, le privilège a évolué pour signifier la centralité révolutionnaire du Fatah, puis le monopole sur la trajectoire du projet de libération nationale. Sans consulter les Palestiniens, le Fatah et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) ont engagé des "pourparlers de paix" avec Israël, qui ont abouti aux accords d’Oslo en 1993.
Les dirigeants palestiniens ont alors concédé la majeure partie de la Palestine historique à Israël en échange d’une autonomie conditionnelle sur une fraction du territoire.
Comme Oslo a donné naissance à l’Autorité nationale palestinienne (AP), le privilège révolutionnaire du Fatah s’est transformé en un sentiment de "mérite inégalé" de résider sur l’ensemble de la sphère décisionnelle palestinienne, y compris l’OLP. Les événements survenus depuis Oslo n’ont guère contribué à modifier cette image de soi, notamment au sein de la vieille garde du Fatah, ce qui a eu pour effet de creuser davantage les failles de la realpolitik palestinienne et de la cohérence interne du Fatah.
Yasser Arafat a prétendu avec désinvolture que le Fatah était un parapluie pour tous les Palestiniens. Sa mort en 2004 a cependant révélé qu’une grande partie de la cohérence du mouvement était ancrée dans sa personne et son héritage révolutionnaire.
Son dévouement infatigable et sa capacité à diriger la révolution sur les terrains souvent défavorables de la géopolitique internationale et arabe en ont fait presque un synonyme de la cause. Cela - et le fait d’être une figure patriarcale pour de nombreux Palestiniens, "le vieil homme" - sont des caractéristiques dont ne dispose pas son successeur, Mahmoud Abbas.
Une approche différente
Abbas a hérité d’une grande partie de sa légitimité de l’héritage d’Arafat, ce qui l’a placé en tête de liste des candidats à l’élection présidentielle de 2005. Il a néanmoins adopté une approche différente, remplaçant l’éthique révolutionnaire d’Arafat par la négociation et la diplomatie.
Il ne prône qu’une résistance pacifique et populaire - bien que l’on ne sache pas exactement ce que cela implique, étant donné que l’AP a été impliquée dans la répression des manifestations pacifiques contre l’occupation israélienne et les politiques de l’AP.
De nombreux membres du Fatah espéraient qu’Abbas apporterait un leadership dynamique. Mais il s’est avéré être l’ombre négative d’Arafat, plus autoritaire et dépourvu du charisme d’Arafat et du lien avec le peuple. Il a progressivement concentré tous les pouvoirs, y compris les organes et le système judiciaire de l’OLP, entre ses mains. Et, par le biais de l’intimidation et des privilèges, il a créé un petit cercle de béni-oui-oui vieillissants, qui ont généralement agi indépendamment de la volonté du peuple et se sont détachés des cadres plus jeunes du Fatah - et les ont bloqués.
En théorie, le Fatah d’Abbas reconnaît le pluralisme. Le partage du pouvoir, cependant, était et continue d’être une autre affaire. Lorsque le Hamas a remporté haut la main les élections législatives de 2006, le Fatah n’a pas reconnu les résultats et a refusé de céder le pouvoir au mouvement islamiste.
Peu après les élections, l’AP a été soumise à des sanctions économiques par Israël, les États-Unis et l’UE, afin de contrecarrer les résultats et de forcer le Hamas à adopter une forme de gouvernance plus acceptable, calquée sur l’AP d’Abbas et approuvée par Israël.
L’AP est allée jusqu’à demander l’aide d’Israël pour écarter le Hamas des institutions de l’AP en Cisjordanie et, par la suite, à imposer des sanctions à la bande de Gaza, base du pouvoir du Hamas.
Deux entités distinctes
Avec le recul, la prise de contrôle violente de Gaza par le Hamas en juin 2007 était peut-être inévitable. Le mouvement était coincé entre un gouvernement irréalisable et une voie incertaine pour redevenir un simple mouvement d’opposition limité à la résistance politique et armée contre Israël.
Entre cette époque et aujourd’hui, la Cisjordanie et Gaza sont devenues deux entités distinctes, dirigées respectivement par le Fatah et le Hamas. Néanmoins, toutes deux fonctionnent encore sous le système administratif de l’AP tel que dicté par Oslo. Tous les efforts déployés depuis pour rétablir l’unité nationale ont échoué.
Pour Abbas et l’AP, la réconciliation avec le Hamas pourrait menacer le monopole du Fatah sur le pouvoir et, éventuellement, l’existence même de l’AP. Dans l’état actuel des choses, la légitimité de l’AP dépend de l’approbation des pays donateurs et, par extension, d’Israël. Cela est interprété par les Palestiniens comme allant à l’encontre de leurs intérêts nationaux.
Le fait qu’Abbas continue à défendre la coordination sécuritaire avec Israël, à réprimer la dissidence et à interdire la résistance armée n’aide pas. Le fait qu’Israël ait ouvertement promis de renforcer l’AP en allégeant les restrictions économiques imposées aux Palestiniens afin d’affaiblir le Hamas n’aide pas non plus.
L’impopularité d’Abbas s’est aggravée après qu’il a annulé les élections tant attendues de 2021, prétendument en raison du refus d’Israël d’organiser les élections à Jérusalem. Plus probablement, il craignait une victoire écrasante du Hamas.
Crise d’identité
Pendant ce temps, alors que le leader octogénaire continue de contrôler le Fatah, l’AP et l’OLP plus d’une décennie après l’expiration de sa présidence, de nombreux militants du Fatah sont confrontés à une crise d’identité concernant la nature de leur mouvement et leur position dans celui-ci.
Leur identification à l’AP et à ses forces de sécurité, ainsi que l’impopularité de ces organes, ont eu un impact négatif sur l’image qu’ils ont d’eux-mêmes et sur la perception que la population a d’eux en tant que porteurs du projet national.
Ceux qui sont au sommet sont à l’aise pour maintenir le statu quo, et heureux de nourrir la culture dans laquelle les postes et les privilèges gouvernementaux sont considérés comme des récompenses pour la loyauté, et non pour avoir servi les intérêts publics.
Ce qui unifie les deux camps, c’est la crainte de l’influence croissante du Hamas, qui pousse nombre d’entre eux à un factionnalisme défensif, parfois au détriment de la cause.
La trajectoire révolutionnaire du Fatah n’est pas très différente de celle de la plupart des mouvements anticolonialistes après la Seconde Guerre mondiale. Il n’est pas non plus immunisé contre nombre de leurs maux.
Il est passé de l’idéalisme au révisionnisme, au réalisme et aux concessions, et maintenant, occasionnellement, à un obstacle à sa propre éthique et à ses objectifs originaux. Le mouvement a été réduit à une autorité tronquée, fracturée en interne, sous occupation, avec une direction qui ne représente que les plus petits dénominateurs communs.
À moins que des élections ne soient organisées, que du sang neuf ne soit injecté et que des réformes ne soient mises en œuvre - certainement en ce qui concerne les accords avec Tel Aviv - le navire Fatah va s’enfoncer encore plus.
Emad Moussa est un écrivain et chercheur palestino-britannique spécialisé dans la psychologie politique des conflits et des dynamiques intergroupes. Il se concentre sur la région MENA, notamment sur Israël-Palestine. Il a également une expérience des droits de l’Homme et du journalisme.